Si les hommes politiques et la société prenaient leur courage à deux mains et lançaient une véritable réforme de l’éducation, voire une vraie révolution, car c’est d’une révolution et pas moins dont on a besoin, voici quelle serait après quelques années d’adaptation et de confiance, la situation à l’école.
On verrait ceci :
Les élèves aimeraient l’école et s’y rendraient avec grand plaisir. Pourquoi ? Parce qu’ils verraient non seulement l’utilité de leur éducation, mais que l’école ferait sens. Elle leur permettrait de découvrir et de se découvrir ; exploration du monde, d’autrui et de soi-même iraient de pair ; et ceci sans pression ni stress. La peur de la faute serait remplacée par une tolérance à l’erreur, puisque sans erreurs, pas d’apprentissage digne de ce nom.
Les enfants auraient le temps nécessaire de faire les découvertes correspondant à leurs intérêts et désirs profonds, et ceci à leur propre rythme. On arrêterait une fois pour toutes la tentative absurde de mettre tous les enfants, tous uniques et irremplaçables, dans un même moule. « A force de vouloir rentrer dans le moule, on ressemble à une tarte ». Car franchement, le problème est-ce vraiment ces innombrables élèves qui ne rentrent pas dans le moule ? Le problème ne réside-il pas plutôt dans le moule lui-même, beaucoup trop standardisé et trop raide pour contenir toute la diversité du monde ? Ayons enfin le courage d’abandonner ce système vieillot fonctionnant tel un rouleau compresseur broyant de petits êtres innocents, et d’éradiquer en même temps toute la souffrance qu’il engendre.
On remplacerait l’ambiance de compétition qui règne encore trop souvent dans les salles de classe par une atmosphère bienveillante et propice au travail, dans laquelle nos élèves pourraient évoluer dans l’entente et l’entraide. Ils pourraient apprendre dès leur jeune âge que nous sommes toujours plus forts ensemble plutôt que tout seuls. « Si tu veux aller vite, marche tout seul, mais si tu veux aller loin, alors marchons ensemble » (proverbe africain).
On aurait compris aussi que la motivation et le sens que les élèves donnent à leurs apprentissages est essentiel. On pourra prévoir et établir les programmes les plus efficaces et performants du monde, mais on ne pourra jamais prévoir ce que l’individu apprendra vraiment. Ne retiendra-t-il pas surtout ce dont il a vraiment besoin et ce qui le passionne ? « Il pousse plus de choses dans un jardin que n’en sème le jardinier ». On pourrait alors arrêter le bourrage de cerveau qui consiste à gaver nos enfants comme des oies ; et tout cela pour se donner bonne conscience, pour se dire qu’ils ont bien « vu » cette matière, mais à quoi cela sert-il de « voir » cette matière si on ne la fait pas « sienne » ?
On poserait par ailleurs les bonnes questions, par exemple celle de l’objectif de l’école. Le but d’une véritable éducation, digne de ce nom, est-il seulement et vraiment de remplir les têtes de nos élèves par des savoirs dont ils auraient prétendument besoin pour faire bonne figure sur le marché du travail, alors que celui-ci, premièrement, exige des qualités différentes qui ne sont pas assez développées à l’école, comme la créativité, l’esprit critique et le travail en équipe, et deuxièmement, est en train de subir des bouleversements profonds qui le changeront de fond en comble et dont les retombées ne peuvent pas encore être prévues. L’automatisation et l’intelligence artificielle, pour n’évoquer que ces changements majeurs, ne promettent-elles pas de modifier la structure et même la fonction du travail à l’avenir ?
L’objectif de l’école consiste-t-il vraiment à permettre aux élèves de trouver un emploi qui leur rapporte un maximum d’argent ? Ne serait-ce pas temps d’abandonner cet objectif, adapté peut-être à l’ère industriel, et tellement peu ambitieux ? Pourquoi l’école ne viserait-elle pas plus haut ? Pourquoi éduquer des futurs citoyens parfaitement standardisés et adaptés à une société capitaliste qui ne tient plus ses promesses, et qui est, à mon avis, en train de rendre ses derniers souffles ? Pourquoi ne pas faire le cadeau à nos enfants de les éduquer de telle sorte qu’ils développent les qualités nécessaires, et surtout la confiance en soi, le courage, et la détermination, pour remettre en question le modèle sociétal actuel, proposer de nouvelles idées et solutions, et pourquoi pas, construire un monde meilleur ? Est-ce vraiment le devoir de nos enfants de s’adapter à un monde qui va mal, n’est-ce pas le devoir de ce monde de s’adapter aux rêves des futures générations ?
Moi pour ma part, je me permets de rêver et d’œuvrer, autant qu’il m’est possible, dans cette direction. Et je n’abandonnerai pas !